Le joug turc et la culture bulgare


Sur l‘ancien territoire bulgare, de nombreuses actions d‘islamisation forcée furent effectuées pendant les siècles de joug dans certaines régions du Balkan et surtout dans les Rhodopes, aboutissant le plus souvent à des massacres et au dépeuplement de villages entiers. Pour se préserver, une partie de ces populations acceptait de se convertir à l‘Islam. Toutefois, pour des raisons liées à ses fondements même et à son fonctionnement économique, l‘empire Ottoman n‘avait pas intérêt à convertir la plupart des populations chrétiennes. Car c‘était précisément à ces populations, appelées « roum » ou « raya » que revenait le rôle de nourrir les dirigeants et militaires turcs. Sur les terres bulgares, les « raya » devaient observer de nombreuses interdictions, parmi lesquelles celle de porter des vêtements de couleur (seuls le beige, le marron et le noir étant permis), de monter à cheval, mais surtout celle de se défendre : ils ne pouvaient pas posséder d‘armes, ils ne pouvaient pas lever la main contre un « croyant ». Les routes de l‘empire Ottoman étant extrêmement dangereuses, le déplacement et les migrations devinrent rares. Le résultat de cette interdiction fut, pour une grande partie de la population, son « immobilisation » pour des générations dans un village ou groupe de villages. Dans les villages, les bulgares avaient leurs églises. Les églises chrétiennes ne devaient pas trop dépasser le niveau du sol, mais elles n‘en fonctionnaient pas moins et devinrent vite des centres d‘éducation et d‘instruction. Les monastères devinrent les centres littéraires des bulgares. A partir du 15ème siècle, une activité scolaire et littéraire considérable se déployait dans le Monastère de Rila (Vladislav Gramatik – « Rilski panagerik », le moine Gavrail, etc.) et, à partir du 16ème siècle, dans les monastères autour de Sofia (Dragalevtsi, Lozen etc.). Les premiers livres bulgares imprimés parurent dans les années 70 du 16ème siècle, à Venise. Au 17ème siècle apparurent des oeuvres dans un genre littéraire nouveau : les « damaskines » œ homélies en langue populaire. Les damaskines témoignent des changements dans la langue littéraire sous l‘influence du bulgare parlé et de la formation, entre le 15ème et le 17ème siècle, du Bulgare Moderne – une langue, déjà, entièrement analytique. Les autorités turques permettaient sinon la construction, au moins la reconstruction et décoration des églises chrétiennes. L‘art bulgare de la période Ottomane fut dominé par les fresques, l‘iconographie, la décoration des manuscrits, la création d‘objets du culte chrétien. A partir du 17ème siècle fleurit la sculpture bulgare sur bois, qui fit des autels de beaucoup d‘églises de véritables chef-d‘oeuvres. La culture de la population présentait un mélange spécifique de christianisme orthodoxe, d‘idées hérétiques, de notions et rites païens. Dans le calendrier actuel des fêtes bulgares, les fêtes chrétiennes et païennes se suivent. Jusqu‘à nos jours, les Bulgares continuent les traditions festives païennes. A l‘exception d‘une fête slave, les fêtes bulgares suivent les calendriers festifs thrace et bulgare. Deux des plus grandes fetes (Gergyovden, Dimitrovden) tiennent leur tradition d‘un passé très lointain et sont liées au mouvement de la constellation Pléïades. Les siècles de soumission à l‘Empire ottoman furent aussi des siècles de fleurissement du folklore bulgare dans toutes ses manifestations. L‘immobilisation de la population dans une région pendant des génération fut certainement un facteur important pour la conservation de la diversité et de la richesse de son floklore. Des héros nouveaux de contes et de chansons furent, aussi, créés, préservant le souvenir de la grandeur bulgare et l‘espoir de la libération: Momtchil, Krali Marko, le tsar Ivan Chichman, le rusé Pétar (Hitar Petar) avec ses railleries aux dépends de Nastradin Hodja. A partir du 16ème siècle, l‘Empire ottoman commença à se dégrader, particulièrement après l‘échec du siège de Vienne. Le 16ème et le 17ème siècle virent neuf guerres entre les empires autrichien et ottoman. Sur les terres bulgares, une activité missionnaire catholique, inspirée par l‘Autriche, se déploya. Dans les territoires bulgares du Nord, des milliers de chrétiens orthodoxes furent convertis au catholicisme et créèrent leurs épiscopats et archevêchés. Des écoles catholiques furent ouvertes. Beaucoup de bulgares reçurent leur éducation en Italie, dans les écoles supérieures de la Papauté. Certains d‘eux, comme Pétar Bogdan et Pétar Partchevitch, consacrèrent leur vie à la cause du réveil bulgare et de la libération du pays. L‘Islam formant une barrière pour l‘adoption des innovations techniques de l‘Ouest chrétien, à partir du 17ème siècle le retard de l'Empire ottoman par rapport aux pays européens devint très visible. Les artisanats des populations chrétiennes (arméniens, bulgares, grecs) de l‘Empire fleurirent. Les grandes villes se peuplèrent de représentants de ces ethnies, qui s‘enrichissaient vite et devenaient économiquement indépendants. Le 18ème siècle, le siècle des Lumières et de la Raison en Europe occidentale, marqua le début du Réveil bulgare sur les terres ottomanes, qui prit la forme de luttes de libération. A part des luttes armées, le siècle vit les efforts bulgares pour la libération de dominations étrangères dans l‘éducation, les éditions et l‘église. Les écoles des monastères et des églises furent réformées et augmentées. Des écoles laïques à l‘enseignement en langue bulgare furent ouvertes. Le premier abécédaire d‘église fut imprimé à la fin du 18ème siècle. En 1824 parut le premier abécédaire laïque en bulgare moderne, « Riben boukvar » par Pétar Béron – une encyclopédie pour enfants. Le 2 janvier 1835 fut ouverte la première école laïque à enseignement en bulgare - à Gabrovo, organisée et le financée grâce aux efforts de Vassil Aprilov. Quelques années plus tard ouvrirent leurs portes les écoles de Koprivchtitsa (dont le maître principal fut Nayden Guerov), Pazardzhjik, Streltcha, Kalofer, Plovdiv. Des écoles de jeunes filles furent ouvertes à Stara Zagora et Pleven. Avant leur libération, les Bulgares avaient déjà ouvert leurs propres lycées (à Plovdiv, Gabrovo et a Bolgrad) et écoles spécialisées (Svishtov, Shtip, Tarnovo, Samokov) ou, en tout, env. 1500 écoles. C‘est encore dans cette période qu‘apparurent les formes spécifiques d‘organisation de la vie culturelle bulgare – « tchitalichta » – maisons de lecture, de discussions et de conférences. Le Réveil bulgare vit aussi l‘apparition d‘environs 90 journaux et magazines à partir de l‘an 1844 (le premier journal fut Lyuboslovié, créé par Konstantin Fotinov). L‘année 1869 fut la date de naissance de l‘Académie des Sciences de Bulgarie. C‘est à cette date que « L‘Association Bulgare des Lettres » fut créée, à Braïla, grâce à l‘activité d‘une douzaine de communautés bulgares. Le premier président de l‘Association fut Marin Drinov. Le Réveil vit l‘oeuvre de nombreux bulgares érudits – historiens (Georgi Rakovski, Dragan Tsankov, Dobri Voynikov, Gavril Krastevitch), philosophes (Pétar Béron), spécialistes de la théorie de la littérature (Nicola Piccolo – lecteur de littérature antique à la Sorbonne). Les pères de la poésie bulgare moderne sont : Nayden Guérov, avec son poème « Stoyan i Rada », Georgi Rakovski (« Gorski patnik »), Dobri Tchintoulov, Konstantin Miladinov, Rayko Jinzifov, Grigor Parlitchev, Petko Slaveykov, Stefan Stambolov, Hristo Botev, Ivan Vazov. Les premières nouvelles bulgares sont « Neshtastna familiya » par Vassil Droumev, « Izgubena Stanka » par Iliya Blaskov, « Kriva li e sadbata », « Balgari ot staro vrémé », « Mamino détentse », par Lyuben Karavelov. Les premiers dramaturges bulgares sont Vassil Drumev, Dobri Voynikov, Sava Dobroplodni. Le Réveil nous a aussi laissé l‘oeuvre du musicien Dobri Voynikov, des peintres Zahari Zograf, Stanislav Dospevski, Nikolay Pavlovitch, Hristo Tsokev, Georgi Dantchov, des constructeurs Kolyo Fitcheto, Aleksey Rilets, et beaucoup d‘autres noms et monuments de la nouvelle culture bulgare. C‘est à partir de l‘année 1824 que commencèrent les efforts de la population bulgare pour rétablir l‘autonomie de son église et le service en langue bulgare. Les premières villes qui essayèrent de substituer un évêque bulgare à l‘évêque grec, imposé par le Patriarcat de Constantinople, furent Vratsa, Skopie et Samokov et, plus tard, Prilep, Veles, Ohrid, Kukush, Bitolya, Odrin, Vranya, Pirot, Vidin, Silistra, Shoumen, Samokov, Haskovo, Lovetch, Stara Zagora, Plovdiv, Tarnovo... A la tête de ces luttes furent Ilarion Makariopolski, Neofit Bozveli, Petko Slaveykov. Une église bulgare fut construite à Constantinople, le mouvement créa son programme et commença à publier son journal « Tsarigradski vestnik ». Le 3 avril 1860, Pâques, au cours du service pascal dans l‘église bulgare, Ilarion Makariopolski ne fit pas mention du patriarche grec à Constantinople – un acte qui marqua, formellement, l‘autonomie de l‘église bulgare. Mais ce ne fut que dix ans plus tard, en 1870, avec le soutien du diplomate russe à Constantinople, le Comte Ignatiev, que le gouvernement osmanli, avec un « ferman » spécial, proclama la création de l‘église bulgare autonome – l‘Exarchat Bulgare. Le territoire de l‘Exarchat couvrait l‘entier territoire de l‘ethnos bulgare – le Mésie, la Thrace et la Macédoine.



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